Comme je l’ai brièvement évoqué ici, j’ai découvert Kilda lors de l’exposition Insula présentée du 16 mars au 13 mai 2012 à l’Institut d’Art Contemporain (IAC) de Villeurbanne, dédiée au duo d’artiste Christophe Berdaguer et Marie Péjus. C’est en effet dans ce cadre là qu’avec d’autres étudiants j’ai suivi une formation à la médiation culturelle. Au moment du choix des œuvres que nous aurions chacun à présenter au public, mon attention se porta sur Kilda et Kilda 2. La sonorité du mot m’attirait.
Kilda 2 ouvrait l’exposition, trônant fièrement dans la première salle, projetant d’emblée le spectateur dans un monde étrange que n’aurait pas renié Tim Burton. Conçue pour l’exposition, cette structure de bois recouverte d’un flocage blanc irrégulier fait d’abord penser à une sorte d’araignée géante quelque peu déformée.
Cette œuvre conçue par Berdaguer&Péjus (duo connu aussi sous l’acronyme CBMP), apparaît comme le prolongement de Kilda, réalisée en 2008, également visible dans la suite de cette exposition (salle 6).
Si Berdaguer&Péjus ont réalisé ces deux œuvres complémentaires (elles fonctionnent comme un miroir), c’est parce qu’ils ont trouvé l’histoire de l’archipel Saint-Kilda très intéressante. Elle incarne à leurs yeux à la fois une utopie et une dystopie. En effet, pendant des milliers d’années des Hommes ont vécu sur ces îles, en autarcie, avec comme ressource quasi exclusive la présence d’oiseaux marins. La rigueur du climat et des conditions de vie, conjuguées à la rareté des contacts avec le continent ont amené la communauté à établir des règles simples. Pas d’argent, pas de guerres, pas d’institutions, pas de chefs au sein d’une société ou chaque membre participait au gouvernement collectif du groupe. Cette société idéale, proche du « communisme primitif » vécu ainsi pendant des siècles, faisant de Saint-Kilda une utopie réalisée.
Hélas, dès la fin du XVIIIe siècle, quelques continentaux trop bien intentionnés apportèrent la religion, les touristes et les maladies qui provoquèrent le déclin rapide de la communauté tout au long du XIXe siècle. Jusqu’à l’abandon de l’archipel par une belle journée de la fin de l’été 1930. Comment pouvaient-ils rester dans un lieu si inhospitalier, se contenter d’une vie si précaire tandis que l’appel de la prospérité moderne se faisait chaque jour plus pressant ? Les corps ne résistent pas à la tentation, et l’utopie devient dystopie.
Kilda 2 est présentée par CBMP comme une maquette « résultant d’un projet d’architecture mentale qui par son processus ne peut prendre racine ni au sol, ni dans le ciel ». Kilda 2 apparaît alors comme une structure « oscillant entre un site et un non-site, entre le projet et la réalisation. Comme un monument pour les Hommes et une architecture pour les Oiseaux ». En filigrane les artistes évoquent dans cette œuvre l’histoire tragique de Saint-Kilda. Symboliquement, si l’architecture de bois évoque une construction humaine, le flocage rugueux et irrégulier renvoie aux fientes des oiseaux. Celles-ci recouvrant ce que l’Homme s’est évertué à bâtir en territoire hostile. Comme la reconquête par la nature d’un royaume dans lequel l’humanité était vouée à l’échec.
Kilda fait écho à Kilda 2. Composée d’une vidéo et d’une architecture de chaînes suspendues, cette œuvre a été réalisée en 2008 dans le cadre d’une exposition présentée au musée des Abattoirs de Toulouse. Selon les artistes, il s’agit « d’une architecture faite d’oiseaux, de temps, de concrétions, de vent, de chaînes, de fientes, de ciel, à l’envers ».
Cette architecture de chaînes ressemble fortement à la construction de la structure de Kilda 2 mais inversée. Si Kilda 2 à les pieds sur terre, Kilda flotte dans les airs, entre deux infinis. La vidéo qui projette des images de globes oculaires d’animaux dans lesquels on peut distinguer la forme de Kilda 2 renforce cette idée de non-site, de lieu où l’humanité n’a pas sa place.
Dans Kilda, la composition de chaînes tournée vers le ciel est d’abord pensée pour les oiseaux. Sans lien avec le sol, ce « mirage » architectural évoque encore une fois l’histoire de l’archipel de Saint-Kilda évoqué précédemment : « le paradis des Oiseaux, l’enfer pour l’Homme ». Celui-ci n’a d’autre alternative que de jeter l’éponge face à la dureté de la vie dans ces îles aux confins du monde. L’espace de Kilda, son lieu, ne serait donc pas tant la terre ferme, là ou les hommes vécurent, mais bien l’espace aérien, lieu du règne des volatiles. Ce sont eux les seuls habitants de l’île-utopie, image inaccessible. La structure de chaînes leur est bien dédiée.
Pour aller plus loin et découvrir bien d’autres choses sur ces œuvres de Berdaguer&Péjus, rendez-vous ici.
Clément B.
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