Aujourd’hui encore, les bateaux n’accostent les côtes d’Hirta qu’en été, lorsque le temps le permet. Après avoir navigué pendant des heures, l’île au nord du monde apparaît enfin et les plus téméraires se fraient un chemin vers Village Bay, l’endroit le plus abrité des lieux.
Tout au long du XIXe siècle, l’isolement extrême des habitants d’Hirta diminue du fait des contacts de plus en plus fréquents avec le continent. Et cela provoque un déclin rapide de la communauté et de son mode de vie. C’est d’abord l’arrivée de la religion qui entraîne les premières transformations irréversibles. Dès 1705, un missionnaire nommé Alexander Buchan s’installe quelques temps à Saint-Kilda dans l’espoir d’amener la communauté sur le chemin de la foi. Cette première tentative se solde par un échec cinglant. Les choses changent avec l’arrivée du révérend John MacDonald en 1822. Lors de ses séjours réguliers sur l’île, l’ecclésiastique crée une véritable amitié avec les insulaires qui sont très attristés par son départ définitif en 1830. En effet, mandaté par l’Église d’Écosse, le révérend Neil Mackenzie prend sa suite et débarque sur Hirta le 5 juillet 1830. Rapidement il impose sa présence sur l’île avec la volonté marquée d’améliorer les conditions de vie des habitants. Au programme : réorganisation de l’agriculture, reconstruction du village, construction d’une église et d’un presbytère. Avec l’aide de la Gaelic School Society, l’éducation officielle est introduite sur l’île : lecture, écriture, arithmétique et cours de religion rythment l’emploi du temps des insulaires.

Vue principale des Black house (maisons de pierre, toits en tôle) de Village Bay et de ses habitants reconstruit après 1862.
En s’imaginant cela, on ne peut s’empêcher d’avoir à l’esprit les images des épisodes colonialistes, pendant lesquels les européens étaient persuadés d’apporter la « civilisation » à des hommes « primitifs », mais aussi les périodes d’évangélisation qui suivirent la conquête du Nouveau Continent. Les Saint-Kildans sont comme ces « Bons sauvages« , image mythique qui se développe à partir du XVIe siècle. Une « jeune humanité » (par opposition à l’ancienne, celle du Vieux Continent) qui n’est pas -encore- corrompue par les vices du monde moderne, une « jeune humanité » dont l’ignorance et l’authentique lien avec la nature en font des êtres purs et innocents… Auxquels des missionnaires se chargent d’apporter le christianisme. Car ces « Bons sauvages » ont été offerts par Dieu pour donner une chance de refonder une humanité débarrassée de ses côtés sombres. Le Paradis perdu, le Jardin d’Eden, l’Eldorado existe réellement sur terre, il n’y a plus qu’à y apporter la « vraie » religion.
Pour les insulaires, le plus difficile commence après le départ de Mackenzie et l’arrivée du révérend John Mackay (déjà évoqué ici) en 1865. Il introduit alors des règles très strictes sur l’île, imposant notamment une présence obligatoire lors des offices. Ces rassemblements religieux modifient profondément les coutumes des habitants d’Hirta. Or c’est sur celles-ci que reposent le fragile équilibre de Saint-Kilda. Mackay exerce pendant plus de vingt ans une véritable pression psychologique sur les insulaires qu’il sermonne régulièrement. Ainsi en 1875, Sands, un visiteur écrit ceci dans son journal de bord : « le dimanche est un jour de tristesse intolérable. Au tintement lugubre de la cloche, tout le monde se précipite à l’église l’air triste et les yeux regardant vers le sol. Mackay considère coupable de regarder à droite ou à gauche ». Son règne dure jusqu’en 1889.
La présence régulière de touristes sur Hirta contribue aussi à transformer en profondeur les habitants de l’île. Eux qui n’avaient eu alors que des contacts épisodiques avec le continent se trouvent maintenant en contacts réguliers avec les bateaux à vapeur et leurs passagers venus observer des « bêtes curieuses » qui vivent loin du monde et de la modernité. Les touristes introduisent l’argent ainsi que des maladies jusqu’alors inconnues dans l’archipel, comme le tétanos qui frappe de nombreux enfants. Peut-on imaginer les sentiments crées par ces rencontres humiliantes ? Certains jeunes insulaires profitent d’ailleurs de la présence des vapeurs pour quitter Hirta à la recherche d’une vie meilleure, loin des privations et du révérend Mackay. Sans se douter non plus de la brutalité du monde nouveau qu’ils rencontreraient et pour lequel ils n’étaient pas armés.

Vue de l’école, adossée à l’église de l’île. Au fond on aperçoit le relief de l’île de Dùn (photo Bob Jones).
Enfin en 1906, l’éducation « officielle » initiée par les révérends successifs prend un nouvel enracinement avec l’aménagement d’une école à côté de l’église. La communauté affectée par les profondes modifications de son mode de vie et de son rapport au monde n’allait plus résister longtemps aux sirènes du continent. Moins d’un quart de siècle plus tard l’occupation millénaire de Saint-Kilda allait prendre fin.
A suivre…
Clément B.
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