Il y a des départs qui ne connaissent aucun retour. Celui des habitants d’Hirta marque la fin d’un peuplement vieux de plus de quatre mille ans et celle d’une utopie réalisée.
Avec la première Guerre mondiale, l’archipel connaît un contact régulier avec le continent. En effet, la Royal Navy installe une station radio sur Hirta. En 1918, un sous-marin allemand arrive ainsi en vue des côtes de l’île et commence à pilonner la station, créant la panique parmi les habitants et les moutons. Ces contacts de plus en plus fréquents -et parfois brusques !- achèvent de détruire la cohésion de la communauté qui reposait sur la solidarité entre ses membres.
La population d’Hirta fluctue au fil des siècles. A la fin du XVIIe siècle ce sont presque deux cents âmes qui peuplent l’île. La difficulté de la vie et les maladies diminuent ce chiffre par la suite. Au cours du XIXe siècle, la population est estimée à une centaine d’individus. En 1851, 36 personnes choisissent de quitter l’île en direction de l’Australie, portant un nouveau coup à la communauté. Les contacts réguliers avec le continent apportant de nouvelles maladies, le chiffre se stabilise entre 75 et 80 résidents. Dans les années 1920, de nombreux jeunes quittent l’île et la population descend sous les quarante personnes. La grippe tue aussi beaucoup et les récoltes sont mauvaises. Les sols sont en effet empoisonnés par les cadavres d’oiseaux utilisés comme engrais. La communauté agonise, le départ n’est plus qu’une question de temps.
Le 26 mai 1930, Mary Gillies, 13 ans, décède d’une crise d’appendicite. Les insulaires préviennent pourtant le continent grâce à une bouteille jetée à la mer. Un bateau est affrété depuis Glasgow et fait route pour Saint Kilda avec l’espoir d’arriver à temps pour sauver l’adolescente. Hélas, le mauvais temps empêche toute possibilité d’accoster, et celle-ci s’éteint sans qu’un médecin n’ait pu lui porter secours. C’en est trop pour les 36 insulaires restant qui réclament leur évacuation.
29 août 1930, 7h du matin. L’effervescence règne sur Hirta. Dans une heure les derniers habitants d’Hirta doivent embarquer sur le HMS Harebell qui doit les mener à Morvern, dans les Highland. Chacun s’affaire, boucle ses derniers colis, nettoie une dernière fois la table du petit déjeuner et s’apprête à quitter cet environnement familier pour toujours. La mer est calme, le soleil brille, on en oublierait presque la rudesse des conditions de vie sur l’île dans la douceur de cette belle journée de la fin de l’été. Les insulaires transportent leurs bagages sur le bateau ainsi que quelques moutons peu enchantés et les six vaches présentes sur l’île. Vers 9h, le départ est donné. Sur le pont les enfants s’amusent tandis que les adultes tentent de se montrer joyeux. Accoudés au bastingage, ils regardent disparaître les falaises de Conachair et la longue île de Dùn, ces côtes familières qui depuis toujours constituent leur environnement quotidien. Saint Kilda disparaît peu à peu aux yeux de ses anciens habitants et sur l’océan étincelant, les insulaires se mettent à pleurer la perte de leur maison.

Les habitants d’Hirta agitant leurs mouchoirs face à l’île de Dùn au moment du départ en signe d’adieu, 1930.
Pour beaucoup, ce départ est un véritable déchirement. Peu de temps après leur arrivée sur le continent et malgré l’accueil qui leur est fait sur Morvern, les anciens habitants d’Hirta se sentent complètement déracinés. Certains tombent malades, d’autres souffrent de dépression. Beaucoup pleurent en repensant à l’île et au village qu’ils ont abandonné. Tant bien que mal ils se font à leur nouvelle vie. Eux qui n’avaient jusqu’alors jamais vu un arbre de leur vie, travaillent pour la plupart dans la gestion et l’entretien des forêt locales.
A l’heure actuelle, il n’y a plus qu’une personne qui se trouvait sur le HMS Harebell le 29 août 1930 : Rachel Johnson, née sur Hirta, 93 ans aujourd’hui, agée de 8 ans au moment du départ. Une mémoire de plus en plus lointaine.
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Pour vivre l’évacuation de Saint Kilda comme si vous y étiez, rendez-vous ici. Un film a été tourné à l’époque, en ligne sur le site des Scottish Screen Archive ! C’est au passage un document d’archive exceptionnel. Si vous aimez l’histoire ça vaut le coup d’y consacrer dix minutes. On peut y admirer la dextérité d’un homme parti traquer les oiseaux sur les falaises ou encore observer les réactions des insulaires peu habitués aux caméras…
A suivre…
Clément B.
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