Nous arrivons au troisième volet de cette série consacrée à la vie quotidienne de la communauté qui demeurait sur Saint Kilda. Dans l’article du jour, place à un élément central qui fait toute la singularité des habitants d’Hirta : leur mode de fonctionnement politique.
3- Liberté, Liberté chérie…
Il est grand temps d’aborder enfin un élément majeur de la vie au Nord du monde. On parle beaucoup dans les livres d’Histoire de la démocratie athénienne, à l’origine de principes qui guident encore -plus ou moins- nos sociétés occidentales. On parle beaucoup ces derniers temps de la question de la représentativité et de la légitimité des élus, de la crise de confiance des administrés à l’égard de leurs dirigeants. On parle beaucoup de la limite que semblent atteindre les démocraties capitalistes gangrenées par l’abstention et le manque de dialogue entre les différents acteurs sociaux. On parle beaucoup moins en revanche d’alternatives et de solutions qui pourraient être expérimentées. Savez-vous que sur Hirta, la communauté à vécu dans une forme de « démocratie totale » (qui excluait tout de même les femmes, à l’image de la démocratie athénienne…) avec beaucoup de simplicité ?
Comment ce système fonctionne-t-il ? Jusqu’à l’évacuation en 1930, l’archipel vit -dans les faits- en autonomie politique par rapport au continent qui en est théoriquement le souverain. Au sein d’une Europe très institutionnalisée survit ce minuscule archipel régit par ses propres lois, proche de l’idée de communisme primitif. Une « société utopiste » qui fait donc figure d’anomalie dans le paysage politique connu.
En 1838, l’anglais George Clayton Atkinson en séjour dans l’île observe le curieux gouvernement d’Hirta à l’œuvre. Et il n’a jusqu’alors jamais rien vu de tel ! Ainsi, tous les matins avant de commencer la journée, les hommes se réunissent dans l’unique rue de Bàgh a’Bhaile afin de décider ensemble des activités du jour. Ils évoquent lors de cette assemblée les travaux effectués la veille et décident de la suite à leur donner. Ils forment à cette occasion des groupes de travaux. Selon les envies de chacun, ils se partagent les tâches essentielles à la survie du groupe : certains vont chasser les oiseaux sur les falaises, d’autres entretiennent les cultures, d’autres encore le bétail… Les femmes quant à elles s’occupent des foyers, des enfants et travaillent la laine. Elles aident également pour l’entretien des cultures. Atkinson parle de ces réunions comme du « Parlement journalier de Saint Kilda« Mais on ne peut toutefois pas vraiment le comparer à un parlement tant son fonctionnement est singulier.
Ce « parlement » quotidien qui rassemble donc les hommes adultes n’était dirigé par personne en particulier. Chacun a droit de parole sans limite. Et lorsque l’un des hommes d’Hirta parle, les autres l’écoutent puis débattent. Mais il n’y a pas de chef, pas de président, pas de maître de séance. C’est une véritable autogestion dans laquelle tous les hommes sont à égalité. Selon Tom Steel, auteur de The Life and Death of St Kilda, « les discussions entraînaient souvent des désaccords, mais il n’a jamais été attesté dans l’histoire que les querelles aient été assez violentes pour amener une fracture permanente dans la communauté ». La nécessité de conciliation afin de vivre ensemble sur l’île est en effet primordiale, ce qui explique peut-être le succès du fonctionnement politique local qui ne connaît finalement que ses propres lois. Le continent et ses institutions est loin. Abstrait.
C’est peut-être cette liberté qui rendait la vie plus douce sur Saint Kilda. C’est peut-être aussi cette liberté qui créa l’attachement si profond de la communauté envers son île. C’est peut-être enfin cette liberté qui les fit rester, en dépit du bon sens, jusqu’à cette matinée de la fin de l’été 1930. Cette liberté qu’ils sacrifièrent finalement. Une autre vie moins difficile, moins risquée et plus confortable les attendait. Une autre vie certainement moins haletante pour ceux qui avaient touché du doigt le rêve ultime de l’Homme. C’est sans doute pour cela que bien des années après avoir quitté Hirta, Lachlan MacDonald l’un des derniers survivants, enfant au moment de l’évacuation, prononça cette phrase : « La vie était belle sur l’île ».
A suivre…
Clément B.
Très intéressant ! Merci.
Dans la même approche et pour découvrir d’autres initiatives, il y a tout le mouvement dit de « Porto Alegre » sur le principe de communautés autogérées. Un exemple concret, Marinaleda, village de près de 3000 habitants, en Espagne : https://www.youtube.com/watch?v=UkLbnLpHl-8
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Belle découverte merci !
Comme quoi l’autogestion ça marche très bien, n’en déplaise à certains…
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