Poésie(s)

Ici, vous trouvez réunis tous les poèmes de Clément Bollenot publiés dans différentes revues de poésie. Certains d’entre eux font partie de Demain incertain, recueil édité chez Gros Textes. Les textes sont présentés du plus récemment publié (en haut de la page) au plus ancien (bas de la page). Cette page est régulièrement mise à jour au rythme des publications.

Belle lecture et n’hésitez pas à laisser un mot au bas de cette page !

-2 textes extraits de Non-lieu, publiés dans le 190e numéro de la Revue Décharge (juin 2021).

15.

elle a toujours rêvé de voir la mer.

quand elle ressent les premières vibrations du bâtiment, elle s’enferme dans la salle de bain.

dans la glace, son image tremblante apparaît. elle se déshabille sans se quitter des yeux et entre dans l’eau.

les secousses se font de plus en plus fortes.

dans la baignoire, l’eau bouillonne, les vagues submergent le corps qui retient son souffle. en apnée. le bruit sourd du train arrive étouffé aux tympans gorgés d’eau.

ça doit faire cet effet-là de boire la tasse pense-t-elle avant de refaire surface.

l’eau est froide, la baignoire toujours remplie.

au cas où.

49.

l’immobilité, c’est la mort. si l’immeuble ne tremble pas, c’est qu’il va bientôt s’effondrer. comme un château de cartes. prise d’une soudaine angoisse, la femme jeune, solitaire, à ouvert la porte pour demander de l’aide. sur son palier, il n’y a pas d’autres portes. à présent qu’elle y pense, elle n’a jamais eu de voisins.

-1 texte en hommage aux derniers combattants de la Commune de Paris, publié dans le 60e numéro de la revue Lichen (mai 2021).

Belleville, 28 mai

La balle ricoche sur le pavé à quelques mètres de nous. La barricade s’effrite.
Sur le sol, la poussière se mêle au sang,  aux restes des nôtres.
Des leurs aussi.
Depuis une semaine on entend la mort qui rôde à chaque coin de rue, défendu avec acharnement. Mes oreilles bourdonnent, celles de mes camarades aussi, sans doute.
On est encore une trentaine ici, ça fait des heures qu’on répond à chaque tir. Bientôt notre canon se taira, on charge les dernières munitions.
Mains noires, gueules noires de poudre, de cendre, de suie. Regards hagards. Le feu des Versaillais qui se répand avec une violence meurtrière ne nous laisse aucun répit.
On nous l’a dit. Ils ne font pas de prisonniers.
Alors on se battra jusqu’au bout.Nos Chassepots crachent encore. Les tirs sifflent dans l’air lourd, chargé d’incendies. Des formes se meuvent le long des murs, on tire depuis les fenêtres des immeubles.
Les lignards sont partout, on ne les retiendra plus très longtemps.
C’est foutu.
On le sait depuis qu’ils sont entrés dans la ville mais c’est pas une raison.
Ils peuvent nous fusiller jusqu’au dernier, ils ne feront pas disparaître l’idéal qui nous anime. L’espoir s’est embrasé, l’écho de ce printemps résonnera longtemps et d’autres reprendront le flambeau. Pour que nous puissions goûter aux premières cerises.

-8 textes publiés dans la revue en ligne Terre à ciel (janvier 2021), avec un court entretien. A retrouver ici.

détruire les sons
toujours ces eaux
            noires
la fraicheur de l’écorce sous la paume
j’ai vu pleurer les pierres sur des sols desséchés
entendu
le cliquetis des larmes de la Terre
au milieu d’un désert
il y avait une fleur
à peine posée sur l’eau
il y avait cette fleur
silencieuse
qui ne troublait ni la chaleur
ni les souvenirs
et dont la tige nue perlait encore
lien fragile vers la vie

l’écorce est bien davantage qu’une peau
l’écorce est une enveloppe apatride
sur laquelle prolifèrent mousses et champignons
quand l’arbre meurt
son être est rongé de l’intérieur
jusqu’aux derniers instants
l’écorce masque
dissimule la déchéance
le pourrissement des chairs
quand les feuilles déposent les armes
face au tourment des vents glacés
l’écorce tient sa position
se dresse dans le crépuscule
et la lumière rasante
         froide
les racines montent vers le ciel
gravée dans les interstices taillés par les lames du rasoir
la certitude de voir s’achever l’hiver

rien d’autre que la nuit
         perforée par les ronces
rien d’autre que la nuit
lacérée par les épines d’une rose
            rouge
meurtrie d’orages à la voix claire
sur le lit dans le coin de la chambre
tu dors nue
la fenêtre ouverte
et l’ombre des branches sur ta peau
révèle mouvement
on dirait que tu danses
au plus profond du sommeil
rien d’autre que la nuit
sans fin
bordée par le silence de ton souffle

contre la voie ferrée
la terre couleur de sang s’évapore
sous un soleil brûlant
arrachés à la montagne de granit
des blocs jetés
         au hasard
on dirait des îles
         émiettées
coincées entre le roc imperturbable
et le tremblement des rails à l’approche du train
écouter
écouter la rumeur devenir tumulte
ensuite chercher
chercher
là quelque part dans ce non-lieu
l’endroit où signifier sa présence
le trouver
une pierre plate lisse
         sans aspérité
attendre enfin
attendre
toujours la patience chevillée au corps
alors la pluie se met à tomber
recevoir l’encre
et puis écrire
         écrire encore
laisser une trace de son passage

l’aube immobile fait frémir les eaux du lac
tressaillir la cime des arbres
entre deux éboulis
la lumière déchiquetée
se reflète à la surface
         s’égare
je devrais me contenter d’impressions
pour guider mes pas

sur la photo le temps figé
il manque l’odeur
et la vie qui reprend son cours
après la pause
entre parenthèses

j’ignore où se trouve l’origine
         du sillon qui traverse ce front
des reflets argentés striant ces cheveux
de ces yeux pochés de soucis
peut-être
         est-ce la vie qui fait naufrage
à moins qu’elle ne trouve
         refuge
dans le lit accueillant des cicatrices du temps

écoute murmurer cette femme
dans une langue qui semble familière
une langue qui s’enfuit
c’est une voix qui griffe les murs
une voix dont les consonnes s’entrechoquent
les sons se perdent dans l’absence de vibration de l’air
entre deux airs familiers
ne pas se sentir à sa place

-4 extraits de Non-lieu, écrits à la fin de l’année 2019, publiés dans le 54e numéro de la revue Lichen (novembre 2020).

1.
la ligne se perd dans le désert infini.

2.
de l’autre côté, bien loin d’ici, un homme marche, en équilibre sur le rail. ses souliers sont usés, les lacets sont sortis de leurs trous.
la semelle quitte le rail, s’élève et se repose sans hésiter, quelques centimètres plus loin.
l’homme marche.
il ne risque rien. le train est passé, il y a longtemps. on ne voit plus sa couleur métallique, on n’entend plus le bercement régulier de la machine lancée à toute vitesse.
le prochain train n’est pas encore parti.

3.
suivre la piste. le chemin de fer finira forcément par arriver quelque part.

4.
à cette heure-ci, la gare est déserte. personne dans le hall éclairé. il n’y a que la fille, à moitié nue, sur le panneau publicitaire et l’œil de la caméra de surveillance, fixé sur elle.
j’ai pris mon billet au distributeur automatique. paiement sans contact accepté.
pour monter sur le quai, l’escalier n’en finissait pas d’ajouter des marches et les néons hésitaient entre jour et nuit.
là-haut, personne. Rien d’autre que le reflet du ciel nocturne entre les cailloux de la voie ferrée.

-1 texte écrit le 13 juillet 2020, publié dans le 8e numéro de la revue Poétisthme (NON, septembre 2020).

Pour voir ce que ça ferait

NON
j’ai envie de répondre NON
de répondre
NON
quand on me demande si tout va
OUI

tout va
OUI
si on n’y fait pas attention
on répond par habitude
la première chose qui nous traverse le crâne
l’esprit
la chose première
OUI

on répond OUI
par habitude
par convention
parce qu’évidemment on va tous
OUI
parce qu’évidemment on va tous
OUItôt
repartir chacun de son côté
et qu’il ne faudrait quand même pas
NON
quand même il ne faudrait pas
qu’on bouleverse notre habitude
celle de répondre
OUI
même quand c’est NON

Faut le dire
y a pas de quoi
OUI
plutôt de quoi
NON
tout va NON
en ce moment
tout va NON
ben OUI
la sécheresse
le réchauffement climatique
la sixième extinction de masse
la consommation qu’il faudrait relancer
OUI
la réponse est invariable
OUI
ça va
ça peut aller

ça
peut
aller
un demi pas vers le
NON
on attend la suite
l’explication
quelque chose
alors comme ça
ça ne va pas complètement
c’est un
OUI
incomplet
mais on passe vite à autre chose
la couleur du ciel
les saisons qui n’existent plus
etcetera etcetera

alors j’ai envie de répondre
NON
quand on me demande si tout va
OUI

pour voir ce que ça ferait

Poétisthme numéro 8 : NON

-3 extraits de Non-lieu, écrits en décembre 2019, publiés dans le 89e numéro de la revue Traction-Brabant (juillet 2020).

35.

le train roule toujours. le paysage a changé. nous traversons une région recouverte de lacs dans lesquels se reflète l’envers du ciel. le bleu se fait discret, recouvert d’une mousse noire, grise, blanche, crème, violette. le ciel fait ce qu’il peut, se débat entre les cercles de l’onde qui trouble la surface lisse des eaux douces. sur la rive lavande myrtille, une barque à demi échouée se désintègre dans l’indifférence. le bois vermoulu grouille de vie, le métal rongé par l’humidité et la rouille pleure sur les planches pourries. ses larmes sont orange, ocres.

on dirait une coulée de lave figée par le temps.

36.

la ville est proche. les friches se succèdent. les hangars désaffectés défilent. leurs portes sont ouvertes, les carreaux des fenêtres brisés. des éclats de verre jonchent le sol.

et puis une forme humaine. juchée sur un réverbère sans fin qui grésille dans l’agonie du jour. l’homme danse. vole plutôt, suspendu à l’immense tige de métal. il m’hypnotise. il se tient par les pieds. le corps en lévitation, un angle de quatre-vingt-dix degrés par rapport au réverbère.

aucun fil ne le retient, mis à part celui qui le relie à la vie.

41.

sur le quai, une femme parle avec un homme, entre deux âges. il remue à peine les lèvres, comme s’il ne voulait pas être entendu. il glisse une main dans sa poche, en retire quelque chose de froissé.

la femme tend la main.

furtivement, l’homme lui glisse ce quelque chose de froissé qui disparaît dans son sac. alors elle tourne les talons et l’homme lui emboîte le pas, le regard fixé sur son postérieur.

en face de moi, A. comédienne, observe la scène de ses grands yeux tristes. elle soupire, me jette un œil par-dessus son livre. gêné, je fixe la page qui se tourne. elle en a lu les deux tiers.

-1 texte, extrait de Non-lieu, écrit en janvier 2020, publié dans le 6e numéro de la revue Poétisthme (Air – mars 2020).

67.

au cœur de la plaine, l’Arbre n’a jamais connu la pluie.

et puis, alors que disparaissent entre ses branches les silhouettes humaines fondues dans l’écorce, l’air se charge d’électricité et de nuages plus noirs que la terre. les premières gouttes hésitent, effleurent les feuilles, s’arrêtent avant le contact avec la peau. un coup de tonnerre. l’orage libère sa fureur. sous l’abri du feuillage, le bruit est assourdissant.

il a plu pendant quarante jours. l’Arbre a tout vu. il a vu pleurer les pierres sur le sol desséché. il a entendu le cliquetis des larmes de la terre au milieu du désert.

aujourd’hui que les nuages se sont vidés, il reste dans le paysage l’empreinte du passage de la pluie.

on dirait que l’Arbre flotte au milieu d’un lac aux eaux croupies, mortes.

et pourtant il y a une fleur, à peine posée sur l’eau. il y a cette fleur qui ne trouble ni les rayons du soleil, ni la surface lisse, noire.

lien fragile vers la vie.

-3 textes écrits en décembre 2017, publiés dans le 179e numéro de Verso (décembre 2019).

Cicatrices

1- Alep

alors le vacarme se tait
l’aube
déchire les ténèbres
sans autre horizon possible que ce voile noir
après une nuit de bombardements
on dirait de la neige
et pourtant non
c’est encore plus froid
plus silencieux
paralysant
personne ne joue avec
et surtout pas les enfants
calfeutrés
ensevelis
sans vie
il a plu à chaque heure
à chaque minute
à chaque seconde
toutes ces histoires, les siècles
effacés en un instant
sous le regard indifférent du monde
cicatrice
à jamais béante dans l’étouffant ciel rouge
de l’humanité

2- Sur la route

sur la route
criblée d’impacts de balles
une voiture calcinée
encore fumante
dans laquelle jouent
quatre enfants
depuis la crête en face
on les dirait armés jusqu’aux dents
les branches mortes qu’ils prennent pour fusils
semblent plus vraies que nature
la sentinelle se tend
porte la main à son talkie-walkie
sur la route de Tel-Aviv
l’un d’eux
voudrait venger son père assassiné lors d’un
check-point
le second voudrait laver les humiliations quotidiennes
de son peuple
les deux derniers sont plus petits
mais le mépris
ils le connaissent déjà
ils s’imaginent en libérateur
mettant terme à un conflit sans fin
un crépitement dans le haut-parleur
l’ordre est formel
ne pas prendre de risque
inutile de laisser murir
les bourgeons de la révolte
écran noir
total
une fraction de seconde après la déflagration
sans même un cri
partis pour toujours

3- Palestine

c’est toujours l’été ici
sur le flanc des collines rocailleuses
du sommet on voit la mer
et les vergers qui s’accrochent
malgré la chaleur
les racines profondément ancrées dans le sol
une délicate odeur d’orangers
envahit les narines
le reflet argenté des oliviers
enchante le regard
le bruissement
de la caresse du vent dans les feuilles
apaise l’esprit
si tout pouvait être simple comme
cet après-midi
si l’écho du monde
se perdait dans le lointain moutonnement des vagues
si la présence de ton corps chaud nacré de soleil
n’était pas qu’une parenthèse
si ta respiration et la courbe délicate de tes seins
étaient autre chose que la fin de ce rêve
si ce n’était pas la guerre

-2 textes publiés dans le 45e numéro de Lichen (février 2020).

le chemin monte en pente douce
au milieu des alizés
du sommet chauve on voit la mer
et les reflets argentés sur les terrasses
parfois
quand j’arrive à me remémorer l’odeur du mois d’avril
je pourrais croire à l’enfance éternelle
celle qui s’oublie les soirs d’été
alors qu’apparaît plus brillante que le jour
l’étoile du Berger

***

depuis la fenêtre je voudrais voir la mer
en face
il n’y a que cet enclos rongé par les siècles
et puis
ces pierres froides grises
où le lichen s’agrippe encore
dernière résistance de la vie
aucune ombre révélée par le soleil
seulement des noms à demi effacés
souvenirs
à jamais oubliés

-3 textes écrits en décembre 2018 / mars 2019, publiés dans le 5e numéro de Poétisthme (Terre, décembre 2019).

pieds nus encore
s’enfoncer dans la fraîcheur de l’humus
écouter les aiguilles craquer
furtivement
dans les sous-bois
les effluves de résines entêtantes saturent l’espace
quel est cet endroit ?
la mousse s’agrippe aux branches noueuses
qui déchirent le jour
crevant la toile bleu outremer
courant d’air sur l’écorce rugueuse
là-haut la nuit s’invite

repeindre le temps défilé
esquisser l’ébauche d’un matin clair aperçu dans le dédale du monde

***

s’ouvrent les paupières de la soif
pour puiser à travers le désert blanc l’éternelle clandestinité de la beauté
démasquée
jardin immobile
pas même un souffle
et puis là-bas
une source tarie
asséchée par le vent
au milieu des montagnes
vestige

***

que restera-t-il de nous
quand le veilleur sera parti
profitant d’une éruption d’outre-terre
pour laisser les scories fleurir sur nos têtes ?
déjà le monde s’est étendu
sur un lit de misère
effaçant d’un souffle l’innocence des premiers jours
fugitive

-2 textes écrits en février 2019, publiés dans le 86e numéro de Traction-Brabant (16 décembre 2019).

un linceul noir et gris
dans le ciel
les nuages n’en finissent plus de se vider
il n’y a que boue
la roche devenue malléable
s’effrite
les volcans font silence
les fleurs pourrissent
et les arbres poussent à l’envers

sentir l’eau qui peu à peu nous submerge
nous aspire
l’étanchéité de la peau mise à l’épreuve
sombrer
dans le bouillonnement des eaux
qui se referment par-dessus les yeux

c’est comme si on éteignait la lumière
qu’on coupait le contact
accepter la fin
rêver la cime des arbres

***

pré-effondrement systémique
violation sonore du vivant
en embuscade au fond du puits
le ciel n’a plus de miroir
autour du terrain vague
les lampadaires grésillent
fragiles
comme les lucioles

Traction Brabant 86

-1 texte écrit en avril 2019, publié dans le numéro Hors-série de Poétisthme (octobre 2019).

à la lisière d’entre cime
la clameur de la ville aphone
s’éteignait
comme un mégot écrasé sous le soulier du crépuscule
en marge de la nuit
le vent s’engouffrait dans les branches
débouchait les artères congestionnées
entre deux klaxons lointains
le hululement de l’effraie
couvrait le chuchotement des arbres
pulsation souterraine

nous avons oublié la saveur de l’eau
et le sommeil des étoiles

-3 textes écrits entre décembre 2018 et avril 2019, publiés dans le troisième numéro de la revue Solstices (juin 2019).

seulement la mer
quand aura disparu toute trace de civilisation
sur le rivage noirci par la main vengeresse des ombres
seulement la mer
reflétée derrière l’ouvrage du tisserand
à travers le tissu jauni par un coin de lune
seulement la mer
poursuivie par des milliers d’yeux glacés
qui n’ont de la vie que le scintillement passé
et l’éclat d’un jour fané
à travers la lucarne je vois filer l’aurore chétive
s’assécher les pores de ma peau
les papilles de ma langue
s’évanouir la douceur sucrée et le sel de mes désirs
il ne reste rien
seulement l’amer

***

ouvrir la porte
sur l’herbe qui tremble
et l’on distingue des formes
prostrées
d’êtres sans visage
d’êtres sans nom
les muscles tendus à l’affut d’un souffle
infime
un éclat de cendre
luit sur leurs crânes blafards
on dirait qu’ils n’ont jamais vu le jour

***

ils n’ont pas choisis d’être là
ces ombres
délabrées
des âmes interchangeables
aux chairs lacérées
derrière les barbelés
ils lèvent encore les yeux vers une lune
brûlante
rêvent
d’apostropher l’espérance de vive voix
traverser alors le lac lointain
lent
et
se brûler les ailes
c’était inévitable

souvenons-nous d’Icare

-1 texte écrit en juillet 2018, publié dans le quatre-vingt-troisième numéro de la revue Traction-Brabant (27 avril 2019).

tu sais cet été ça me rappelle un peu
soleil vert
cette chaleur permanente
ce manque d’air
cette impression d’étouffer
à dix heures du matin il fait déjà plus chaud que pendant les après-midi de mon enfance
quand maman disait
d’attendre cinq ou six heures pour se baigner
tu sais cette sensation désagréable
cette moiteur de la peau
du tee-shirt qui colle à la peau
qui pue
alors qu’il sort du placard
le front humide en permanence
comme Kirk ou Charlton
et l’étau se resserre
les barbouzes font la loi
étouffent la contestation
couverts par un monarque qui se dit président
c’est fini la démocratie
comme les étés respirables
tu sais quand il ne poussera plus rien que des coups de matraques et des émissions télés
je me demande s’ils ne nous feront pas manger nos parents
bientôt

-1 texte écrit en janvier 2019, publié dans le trente-septième numéro de la revue Lichen (mai 2019).

en revenant de la plage dans le TER
y avait cette fille en short
qui regardait par la fenêtre
elle pleurait
et elle était belle
elle était belle parce qu’elle pleurait
parce que comme ça à travers sa fragilité esquissée
sa beauté devenait presque accessible
                     palpable
j’ai pas osé lui parler je respecte trop la tristesse
j’ai pas osé lui parler
elle était beaucoup trop belle pour moi
j’ai pas osé lui parler
j’ai préféré croire qu’on se reverrait
j’ai pas osé lui parler et bousiller une scène de son film
j’ai pas osé lui parler
pour qu’elle reste dans son rôle
j’ai pas osé lui parler maintenant je m’en veux
j’connais même pas son nom

-1 texte écrit en juillet 2017, publié dans le troisième numéro de la revue Poétisthme (avril 2019).

apprendre
l’existence au monde
se blesser
sur les champs de bataille
entre deux
averses
le visage couvert de boue
souffrir
sous la morsure de
l’hameçon
l’étrangeté du paradoxe de la vie
qui s’achève avant même d’avoir
commencé

-1 texte écrit en novembre 2018, publié dans le recueil collectif Un rêve, paru aux éditions de l’Aigrette (janvier 2019).

Un rêve, anthologie poétique aux éditions de l’Aigrette

Jack

c’était comme si un matin
sa vie avait disparu au tournant d’un bois
dont les branches ployaient sous la neige
c’était comme si un matin
sa vie s’était effritée
sur le mur rugueux des ténèbres
des années des années qu’il arpentait cette planète
tout fonctionnait encore comme au
premier jour
pourquoi avoir peur ?
pourquoi craindre l’agréable froideur du feu
qui lentement ronge nos certitudes les plus ancrées ?
tellement consumée cette existence !
il avait fait de sa vie un rêve
parti en fumée
dans la vallée de la lune

-1 texte écrit en octobre 2018, publié dans le numéro 34 de la revue Lichen (février 2019) :

nous vivons
comme si demain n’arrivera pas
comme si hier n’existait pas
comme si aujourd’hui aujourd’hui et encore
aujourd’hui
nous vivons
fermant les yeux sur nous-mêmes
pour oublier la mort seule certitude de la vie
même si celle-ci
n’en est encore qu’au matin
il y a des nuits qui n’arriveront jamais
et des pays blancs
où ce n’est que le jour
même quand les nuages obscurcissent l’horizon
c’est pourquoi nous vivrons toujours ainsi
car la vie n’attend pas

-1 texte écrit le 23 avril 2018, publié dans le numéro 79 du poézine Traction-Brabant (juin 2018) :

ci-gît la Commune Libre de Tolbiac
c’est ce qu’ils voudraient nous montrer
grilles fermées
amphis déserts
ascenseurs arrêtés
volets baissés
pourtant
les idées flottent encore sur les murs
il sélectionne nous occupons
            nous ne voulons pas le pouvoir nous voulons pouvoir
            le train des réformes ne passera pas
            l’éducation pas l’expulsion
            nos rêves sont désordre
le rêve d’éteindre la nuit
balayé au petit jour
cinq heures du matin un murmure
d’abord
ce qu’on veut bien entendre
et puis le bruit des bottes
quelques cris
il faut aller vite
cinq heures dix
ils progressent dans les étages
à cinq heures vingt
les coups pleuvent
expulsion méthodique dans le calme
six heures
l’ordre est rétabli
circulez y a rien à voir
les images tourneront en boucle
il faut faire peur
— et faire de l’audimat
c’est l’heure de l’exil
occuper la rue et étreindre la vie

soutien aux exilés !

-1 texte écrit en août 2014, publié dans le numéro 173 de la revue Verso (juin 2018) :

1891 ,d’après Arthur Rimbaud

Un soir, la Beauté s’est assise sur mes genoux.
−Seuls au milieu des masques endimanchés,
elle se jouait de moi et m’enivrait dans ses calices
orchidéens.

−Et, me prêtant au jeu, je l’ai injuriée.

***

Plus tard, le Poète dira qu’aux premières lueurs de l’aube,
tu es venue à la fenêtre chercher la promesse qu’il n’a pas su te faire.
Car il a vu dans les draps, dévoilant ses charmes,
la blanche Ophélia s’ouvrir comme une fleur.

***

Assassiné par la postérité.

-1 texte écrit en janvier 2018, publié dans le numéro 25 de la revue Lichen (avril 2018) :

Ar-Men

mer d’Iroise
l’océan se révolte
contre ce feu qui brûle là-haut quand il fait
nuit
cet éclat qui défie les tempêtes
à trente-trois mètres au-dessus des flots
les Hommes
doivent rendre ce rocher noir et visqueux
ce rocher sur lequel ils ont construit un brasier
un mur d’eau décidé
se jette sur les pierres noires et blanches du phare
Ar-Men
vacille de son piédestal
l’onde du choc
se répand le long de l’édifice
les vitres tremblent
sur la table la bouteille se renverse
et s’en va se briser sur le sol
tout entier le bâtiment gémit
encaisse la violence d’un second assaut
dehors
le vent hurle et se mêle au combat
les algues gluantes s’agrippent
rêvent
de reprendre leur bien
rien n’y fait
il est toujours là
debout au milieu de nulle part
l’avoir à l’usure
faire de cet endroit
l’enfer des enfers

-3 textes écrits en 2017, 2015 et 2017, publiés dans le numéro 76 de la revue Traction-Brabant (novembre 2017) :

des enfants
jouent
sur la plage
fument les cheminées
dans un matin gris
engourdi par le froid
il a neigé
hier
et
lorsqu’au large l’horizon sera clair
tous lèveront les yeux
dans l’espoir de voir une coque fendant les flots
ils n’entendront
que le silence du monde

***
souvenir d’autre part
orageuse parenthèse d’une saison
brûlante
volets fermés
fenêtre entr’ouverte
de laquelle s’échappent
râles de plaisir
souffles de jouissance
saisis au vol
la pluie se met à tomber
sans que les cris ne cessent
plus tard
lorsque la femme sera partie
il entendra le plic ploc
contre les vitres

***
après la pluie
la poussière est toujours noire
sous le soleil
la poussière est toujours noire
au clair de lune
la poussière est toujours noire
sur les mains de l’enfant
la poussière est toujours noire
dans les cœurs
la poussière est toujours noire
à travers les bombes
la poussière est toujours noire
au-delà des falaises
la poussière est toujours noire
parmi le couloir des souvenirs
la poussière est toujours noire
rien ne bouge
maintenant
dans le coin de la pièce
la poussière est toujours là

-1 texte écrit en 2013, publié dans le numéro 19 de la revue Lichen (octobre 2017) :

Feuillet n°15

pourquoi
faut-il
à tout prix
gagner
la vie
qu’on nous
a donné ?
non-sens
le verbe
donner
est impropre
à la
consommation
marchande

-1 texte écrit en septembre 2014, publié dans le numéro 170 de Verso (septembre 2017) :

nu comme un ver
de terre
couché dans l’ocre
cheveux mêlés de boue de terre glaise
avec dans la bouche l’âcre goût de la cendre
plonger les mains dans l’âtre
et taire sa douleur
et façonne et moule et construit
l’exactitude d’un sentiment d’exaltation
comme
lorsque tu fais le tour du monde
pour faire le tour de la
question
d’où venons-nous ?

nous sommes matière

-1 texte écrit en 2015, publié dans le numéro 18 de Lichen (septembre 2017) :

Étrange est le pas du matin
qui égare le voyageur dans un delta
imaginaire
Étrangère la lueur de l’aube
qui perce la brume
d’un méandre filandreux

Et tangible est la preuve de
l’existence d’un silence

réparateur

-3 textes écrits en 2017, publiés dans le numéro 15 de Lichen (juin 2017) :

une poignée de sable
et des plumes
se dispersent
aux quatre coins du
monde
ici les vents règnent en maître
terrain de jeu à leur
démesure

***
éparpiller la nuit
disperser les étoiles
sous les branches d’un vieux saule
fermer les yeux
pour
ne plus voir que cette image
gravée sous tes pas

***
seul toujours
quand tremble dans l’air
la rumeur de la nuit

-3 textes écrits en 2016, publiés dans le 14e numéro de Lichen (mai 2017) :

désir d’encre
quand solitude existe
exploration
de
l’imposture des armes
tant de questions
j’ai murmuré ton nom
liberté

***
papillon discret
comme un message dans la nuit
si l’ombre s’avance

***
débris de la terre
éclat d’une lueur qui tremble
sans jamais se taire

-3 textes écrits en 2017, publiés dans le 13e numéro de Lichen (avril 2017) :

dans la bouche
l’odeur du sel
dans les yeux
le goût du vent
dans le nez
le son des nuées
dans les oreilles
la caresse du large
sur la peau
la vision d’un corps
désiré

***
tu te souviens ?
ce matin là dans le flou d’un instant
sous l’épine de l’aube
nos doigts se frôlaient
presque

***
descendre quelques marches
le temps d’un regret
demain incertain

-Texte écrit en 2015, publié dans le 168e numéro de Verso (mars 2017) :

s’éloignant dans les ombres
les falaises
déchirent les flots
noyant l’insensée certitude des lieux
quelque part
un homme se souvient
il se souvient d’un nid
d’un oiseau
d’une aile
d’un frôlement
il se souvient d’un appui qui se dérobe
le cri d’un enfant
et
alors que tout semble terminé
cette lumière vive
soudaine
cette chute sans fin
vers le petit matin

-Texte écrit en 2015, publié dans le numéro 167 de Verso (décembre 2016) :

rocher solitaire
égaré quelque part
si loin du monde
silencieux
longtemps pourtant
le murmure des vents
a colporté les cris d’enfants
écho lointain d’un temps révolu
sur les falaises une fleur s’ouvre
comme la promesse d’un printemps encore
fragile
soumis à la morsure du Nord
plus bas dans la baie
quelques volatiles se pavanent sur les ruines
d’un village construit par les Hommes
des moutons gambadent
paisiblement
insensibles à la mélancolie des lieux
et toujours le vacarme de
l’océan
toujours cette lutte acharnée avec l’île
abandonnée
déjà morte
dont le nom s’efface sous l’assaut des marées

-3 poèmes écrits en 2013/2014 et publiés dans le 166e numéro de Verso (Septembre 2016) :


paix nocturne
rien ne bouge
désormais
le temps
suspendu
à tes lèvres
depuis que la lune
s’est éteinte
sous la caresse
du vent
d’une soirée d’été
-une soirée
lourde, menaçante,
voire orageuse-
une soirée
où le monde
n’a plus d’importance
j’attends une réponse
qui n’a nulle besoin
de mots
tout deux
enlacés
loin du fracas
quotidien
si proche du firmament
seuls sur cette planète
sérénité
et l’on ressent
l’ivresse
des explorateurs
projetés sur d’inconnus
rivages désertiques
nous sommes
seuls
dans l’univers
et pourtant
j’ai toujours soif

***
D’asphalte
et de
goudron
de poussière
d’éclats
de roches
et de rires
de semelles
usées
sur les
vastes avenues
balisées
sous les
projecteurs
de ces monstres
à jamais
éveillés
comment peut-on encore
rêver ?
de routes
faites
d’ignorance
d’avidité
d’avis
tranchés
des chemins
de larmes
d’alarmes
pressantes
-mais méprisées
de clairs
de lune
de clairs obscurs
tranchant
d’artères
survoiturées
de soleils
éteins
étrangement
blêmes
et si ternes
sans essence
ni vie
d’ange
Car nés de
route
et de
doutes
il n’y a
nulle part
ou aller

***
Éclats
tant
abimés par la
griffe
des hommes,
miroir
invisible,
insaisissables
bruissements
sur le sable
sans l’ombre d’un
doute
pourtant
qui franchira
le pas
prisonnier de sa propre
image ?

Pour tous les textes ©Clément Bollenot

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